Trafic à l'école
persoCe matin, le choc.
Je me doutais qu'en tant que parent, je vivrais ça un jour.
Mais pas si tôt.
Et pourtant.
...
Ça a commencé hier... avec notre aîné, Arthur (7 ans) de retour de l'école, qui me baragouine une sombre histoire de pissenlits... J'aurais dû y prêter plus d'attention d'autant que j'ai cru discerner dans ses paroles confuses le nom d'une certaine Violette...
Ce matin, comportement bizarre. Il se réveille difficilement (certainement une nuit tracassée) mais aussitôt levé, chose absolument incroyable, il ne gémit pas comme à son habitude tel un mollusque étalé sur le canapé. Il mange, il s'habille, se lave les dents sans broncher (oui, oui ! ... incompréhensible je vous dis...), enfile ses bottes et sort.
...
Échanges de regards paniqués avec sa maman.
J'essaie de contenir mon émotion mais intérieurement, je suis très inquiet.
Il faut qu'on parle.
"Vas-y doucement Loulou", "Il ne faut pas le braquer, ça le ferait plonger du mauvais côté"
...
Il rentre avec le sourire du malfaiteur ayant réussi son forfait, un sac plastique rempli de pissenlits à la main.
...
Mon regard inquisiteur appuyé le pousse à baisser les yeux.
D'un ton de cathédrale, je lui lance: "Ton papa te soutiendra toujours mais il faut dire la vérité maintenant".
Silence pesant.
Il hésite.
Il avoue.
Tout.
Enfin.
...
Il me raconte alors que la cour de l'école a été découpée en plusieurs zones (covid-19 oblige).
Malheureusement, lui et sa bande de malfrats ont hérité d'un espace complètement bétonné et goudronné.
Aucun accès à un bout de terre ou d'herbe.
Dur.
Très dur.
Avec la complicité d'une bande rivale s'installe alors ce qu'on peut véritablement appeler un "trafic végétal". Les complices arrachent de l'herbe à travers un grillage et l'apportent directement dans un lieu de stockage. Cette bande de crapules étouffe ses cris de joie quand un des membres récupère le Graal: un pissenlit. Le trafic s'étend. Un indic rapporte qu'un marché potentiel s'ouvre à l'Est. Il parait que là-bas des détenus particulièrement dangereux (4 ans de moyenne tout de même, effrayant...) sont quasiment à l'isolement. Pas un seul brin d'herbe. La solidarité l'emporte. S'organise alors un transport discret de pissenlits et autres substances illicites vers ce quartier de haute sécurité. J'apprends que notre cadet, Titouan, est de la partie et ne laisse pas sa part au chien. Les furieuses et furieux de la cour d'en-haut sont ravis mais les prix s'envolent. Le nouvel Or vert se négocie durement et des tensions apparaissent. C'est l'engrenage, l'appel de dame Nature est trop fort, il en faut toujours plus. Arthur commet alors l'irréparable. Sous la pression de Violette, leader incontestée de l'école, il lui promet de cueillir des pissenlits à la maison et de les ramener dans son cartable.
Je suis sans voix.
Incroyable.
A Lasseube.
En 2021.
Un des endroits les plus verdoyants du Béarn.
Rachel et moi le prenons dans nos bras pour le rassurer. Nous allons essayer de faire quelque chose. Promis.
Samedi matin, nous irons planter quelques arbres près du centre de secours... mais je me demande s'il ne serait pas plus utile d'aller les planter à l'école. Et en profiter pour enlever une bonne partie de ce satané goudron.
Pour que le Gang des Pissenlits 🌼 puisse gratter, creuser, transporter et apprécier cette terre si nécessaire à notre vie ici bas.
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