Est-ce important de défiler pour les retraites alors que notre Terre brûle ?
sociétéJe marche… #
Depuis le 5 décembre, date de mon premier jour de grève, à chaque journée inter-professionnelle, je marche. Au départ, un cri du cœur, un “truc” dans ma tête, dans mon ventre que je n’ai pas su complètement expliquer (même si j’ai essayé sur ce petit billet du 25 novembre 2019). Quelque chose de diffus qui m’a poussé à sortir dans la rue. Pas vraiment pour moi mais pour les autres. Ceux qui souffrent au quotidien.
J’avais vu ces infirmières en colère qui travaillent dans des conditions si difficiles. “Inacceptable”.
J’avais aussi entendu les incroyables difficultés des pompiers. “Intolérable”
Et puis les gilets jaunes, les agriculteurs, les fonctionnaires, les routiers, les avocats, etc… “Tout le monde est en colère…”… 🤔…
… et toujours ce “malaise” #
Quand j’en parle autour de moi, beaucoup de bienveillance. “Oui, cette grève doit continuer parce que cette réforme est injuste !”, “Elle va faire baisser les pensions alors que des milliardaires se gavent !” , “On tape encore une fois sur les petits !”
Et on en découvre de bien “belles” avec BlackRock, AXA, et tous les amis des puissants qui attendent, tapis dans l’ombre, pour se partager le magot, sur notre dos. On nous parle d’équilibre financier alors que tout va bien. Puis on change de fusil d’épaule en tentant d’expliquer un “régime universel avec des spécificités”. Bref, on sent l’embrouille à chaque fois qu’un député de la majorité ouvre la bouche et s’essaie à expliquer l’inexplicable. 😜
Toutes les conditions sont réunies pour que ça explose. Et ça explose. Évidemment.
50 jours de grève déjà.
Mais… il y a un “mais”. #
Il ne faut pas non plus se mentir : certains salariés ont des avantages côté retraites que d’autres sont très loin d’avoir.
Et le gouvernement appuie sur ce point qui divise. Même si tout ce beau monde des hautes sphères se garde bien de toucher à son propre régime (“tout va bien mesdames et messieurs les sénateurs ? restez discrets surtout hein ?”), chez beaucoup de français, ça coince: “Pourquoi irais-je faire grève aux côtés des cheminots qui ont ceci et cela… ?” Le passage à l’acte de manifester est difficile.
C’est ce que je retrouve dans mes discussions au boulot (je travaille dans le privé). Ce n’est pas clairement dit mais, finalement, certains fermeraient presque les yeux sur les conséquences de la réforme des retraites tant que les régimes spéciaux disparaissent (et les privilèges avec !)
Au sein des cortèges, ma tête chauffe… #
Il y a des privilégiés, certes.
Je suis bien loti et j’ai toutes les raisons pour ne pas faire grève.
Et pourtant, je suis là, dans la foule. Je marche au milieu. J’écoute des gens qui parlent de leurs difficultés du quotidien, partagent leur rage commune contre l’arrogance de “ceux qui ont le cul dans le beurre”. Ils compatissent avec “ces pompiers courageux”, “ces infirmières dévouées”, “ces enseignants sous-payés”
Je repense à ma lecture du dernier bouquin de F. Ruffin (“Il est où le bonheur”)…
Au détour d’une rue, mon anxiété se rappelle à moi. Le réchauffement climatique, l’épuisement de notre Terre, dévorée par notre avidité. Quelques passages pénibles de mon petit guide sur l’effondrement viennent résonner et la question qui finalement me taraude depuis le début: “Est-ce important de défiler pour les retraites alors que notre Terre brûle ?”
Tout se bouscule.
Les marches s’enchaînent. Jour après jour.
Et je converge dans ma petite tête. L’évidence. Mon explication. Enfin.
Pourquoi suis-je ici, à manifester ? #
Parce que cette réforme des retraites par point est emblématique d’un monde du chacun pour soi !
Chacun.e face à son destin. Chacun.e avec ses propres moyens. Tous les parcours atypiques, chaotiques, les coup durs de la vie, les maladies, démerdez-vous.
Le monde qu’on nous propose, c’est celui du chacun pour soi alors que face à la catastrophe climatique — inéluctable — qui se présente, les SEULES qualités qui nous sauveront seront: la solidarité, la collaboration, l’entraide ! Face à une crise, on se rapproche, on se serre les coudes, on pense à mettre en commun.
C’est une évidence quand on le dit.
Face aux feux Australiens, la population a fait face, ensemble, avec les animaux, avec la Nature. Le chacun pour soi ? Inutile. Voire meurtrier.
En défilant, je refuse donc de valider le concept du chacun pour soi. Je parie sur la solidarité, le bien commun pour nous sortir du merdier à venir.
Je manifeste donc parce que je considère que ce n’est pas dans ce sens que l’on doit aller mais à l’opposé total ! Mutualiser, partager pour être plus forts, résilients, ensemble.
“Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement, et pas seulement y survivre”, voilà un bouquin qui m’éclaire. Nous devons travailler notre sens de la collaboration, du partage devant le péril qui menace. Cette réforme des retraites est un pas de géant… dans le mauvais sens ! Manifester contre, c’est justement travailler notre sens du “ensemble”.
Et vous ? #
J’essaie de convaincre plus par mon assiduité aux manifestations qu’avec des discussions autour de la machine à café.
Je me souviens de mes années étudiantes. Bringues, sorties, picole, insouciance. Oui insouciance mais… pas trop quand même. La précarité étudiante est une réalité qui pique. Bosser pour pouvoir étudier. Petits boulots, entraide, dépannage d’un copain…
La vie étudiante n’est acceptable pour beaucoup que parce qu’elle repose sur des liens sociaux forts : les potes toujours là pour aider si galère, je te passe mes cours, on partage un appart en colloc, tu me dépannes de 10 euros.
Je pense sincèrement que c’est justement cette mentalité qu’il faudra retrouver pour faire face aux défis de demain. Solidarité, partage, mise en commun.
Le monde du travail transforme cet état d’esprit. On nous demande d’être performant, plus fort, plus rapide que notre voisin. L’arrivée des enfants et la routine qui s’installe et qui distend les liens avec les copines et copains. Et le chacun pour soi qui prend le dessus.
Alors je rêve.
Je rêve que les étudiants prennent conscience que leur façon de se démerder, leur mentalité de l’entraide, leur sens du partage sera la prochaine étape que devra franchir notre société.
A vous qui rejetez ce monde de fous, qui savez pertinemment que vous vivrez dans un monde beaucoup plus contraint que vos parents, j’aimerais vous dire: venez crier avec nous que NON, nous ne voulons pas du chacun pour soi. ✊
Demain j’irai manifester, encore ! #
Rendez-vous, demain vendredi 24 à Pau, place de Verdun, 10:30.
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